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05 May

Débat avec les libéraux médiatiques

Publié par Pierre Chappaz

La réponse de Gaspard Koenig à mon article Identité et liberté me déçoit, mais je ne suis pas surpris, et au contraire, je me sens conforté dans mes positions par la faiblesse de son argumentation. Le débat entre libéraux, qui semble attrister le jeune philosophe, est utile et légitime.

Koenig est le "bon client" libéral des medias français, qui apprécient sa petite musique, franchement libertaire sur le plan sociétal, et adorablement ambigüe sur le plan économique. La synthèse libéral-collectiviste-libertaire plaît toujours autant aux journalistes, qui ont besoin de renouveler leurs invités, on a assez vu Cohn Bendit.

Un libéral, auréolé de son passé de rédacteur des discours de Christine Lagarde, qui explique que la solution à la crise c'est de faire défaut sur la dette, c'est nouveau et intéressant! Personne n'y avait pensé, à part Mélenchon, et pourtant c'est tellement simple ... on oublie, la dette, pfuit!

Koenig explique aussi que "les libéraux défendent depuis une dizaine d'années le revenu universel" . Je considère cette idée comme une nième utopie socialiste, pas comme une idée libérale, dans un pays, la France, ou l'Etat et son dispositif de clientélisme et d'assistanat consomme déja 57% de la richesse nationale.

Il véhicule également la vieille antienne sur la disparition du travail du fait des robots. Reparlons-en dans quelques années quand chacun aura enfin constaté que les pays qui subissent le chômage de masse sont les pays mal gérés et étouffés sous le poids de leur administration inefficace et coûteuse, à l'instar de la France, l'Italie et l'Espagne.

Dans un pays comme la France ou l'Etat est particulièrement centralisé, le jacobinisme n'a plus trop la cote. Pourtant Gaspard Koenig se distingue, en mettant en avant une vision qui lui est propre, même s'il s'efforce de l'appuyer sur de quelques références historiques: le "jacobinisme libéral".

Le livre récent du philosophe ("Le Révolutionnaire, l'Expert et le Geek") est particulièrement touffu. On y découvre, dans une langue chargée d'une multitude de citations philosophiques et historiques, qu'il est partisan d'un Etat central encore plus fort.

Contre la régionalisation, pour une recentralisation, l'auteur manie le paradoxe à toutes les pages. "Repoussons le politique le plus loin possible (des habitants) , pour mieux autonomiser le local". Il faut une "centralisation puissante pour émanciper l'individu de ses tutelles".

Pour Koenig ce n'est pas la liberté de l'individu qu'il faut protéger et étendre, mais son "autonomie", qui n'est parait-il possible qu'avec un Etat complètement centralisé. L'auteur caricature les positions des libéraux classiques (également appelés libertariens), dépeints comme des nostalgiques des sociétés primitives sans Etat. Comme si entre l'Etat tout-puissant et les Guaranis d'Amazonie il n'existait pas de nombreux exemples de sociétés ou l'Etat est efficace, modeste, décentralisé et respecteux de la liberté des citoyens. C'est le cas de la Suisse ou je vis, pays de la démocratie directe à tous les niveaux de décision, du gouvernement modeste, et d'une grande liberté de l'individu. Dois-je rappeler à Koenig que ce que souhaitent la plupart des libertariens, ce n'est pas la disparition de l'Etat, mais une cure d'amaigrissement radicale, couplée à un programme de gymnastique exigeant, pour mettre un terme à l'obésité de l'administration, qui étouffe la société.

On lit aussi dans le livre récent de Koenig qu'il veut l'interdiction de l'enseignement privé, "une réforme brutale, (qui) entrainera des résistances, que l'Etat jacobin devra briser sans état d'âme". L'homme a du style, mais comment peut-on écrire des choses pareilles?

Je n'ai pas réussi à arriver au bout du bouquin, tant la dernière partie sur Internet m'a rapidement épuisé. On y lit par exemple que "la gratuité a un prix colossal: l'expropriation de soi". Je travaille dans Internet et je suis connecté la plupart du temps depuis 15 ans, je ne me reconnais en rien dans les analyses de Koenig, opposé à la "démocratie liquide", parce que "le moi du citoyen cesse d'être celui de l'intérêt général pour devenir la pure traduction d'un intérêt particulier." Vous suivez? Moi ce genre de déclaration me fait froid dans le dos.

Décidément, quand bien même je partage certaines positions de l'auteur, qui dénonce le planisme et propose la suppression du statut de fonctionnaire, je ressens un gros malaise. Comme disait Bastiat, il y a "ce qui se voit, et ce qui ne se voit pas". Les intentions de Koenig sont certainement généreuses; les philosophes, pour la plupart, souhaitent le bonheur de l'humanité. Mais je ne peux me défaire de ce sentiment que son jacobinisme libéral a des relents totalitaires.

Au contraire, les libéraux doivent s'attacher à promouvoir la vraie liberté, celle de l'individu, et moins l'Etat se mêle de ses affaires, mieux il se porte.

Revenir d'un Etat obèse à un Etat léger, concentré avant tout sur ses fonctions régaliennes, notamment la sécurité intérieure et extérieure, la loi et la justice, c'est le coeur du libéralisme. Cet objectif modeste est pourtant utopiste en France, ou aucun homme ou femme politique ne sera sans doute jamais élu(e) sur un programme à la Margaret Thatcher.

Pour que peut-être un jour cela change, il faut sortir le débat sur le libéralisme de la diabolisation "ultralibérale" et de la confusion "libérale-médiatique".

PS: il est dommage que la rédaction de Contrepoints ne s'intéresse pas à ce débat, il semble qu'elle ait jugé "libéralement incorrect" mon article précédent Identité et liberté, lettre à Gaspard Koenig